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Spatialisation de la sculpture / Valérie Da Costa

Vincent Mauger est sculpteur. Il appartient à cette jeune génération d’artistes (Stéphanie Cherpin, Laurent Le Deunff, Katinka Bock, Guillaume Leblon, Morgane Tschiember…) qui privilégie un art de la technè c’est-à-dire du « faire », loin de l’esthétique du ready made et de la distanciation ou de la délégation créatrice, considérant que la sculpture est avant tout une affaire de confrontation à la matière et donc au volume. Mais aussi à celle qui s’intéresse aux principes de construction liés à l’architecture (Tobias Putrih, Jeppe Hein).

Depuis ses premières réalisations au début des années 2000, Vincent Mauger a mis en place un travail dans lequel se développe une extrême tension entre l’usage de technologies numériques et le recours à des matériaux élémentaires (bois, parpaings, polystyrène, briques, tubes en PVC…) qui deviennent, sous les outils de l’artiste, des surfaces, des sols, des paysages, des rochers.

Bien souvent, ces œuvres s’apparentent à des cartographies en trois dimensions qui sembleraient naître de ces dessins génériques issus de programmes informatiques comme s’il s’agissait de retranscrire ce que l’artiste nomme « la perception mentale d’un espace ou d’un objet ». Pourtant, ces formes génériques ont la particularité de donner à voir des formes construites qui portent les actions que l’artiste a fait subir au matériau. Mais ce qui est troublant à leur confrontation, c’est que celles-ci, bien qu’entièrement réalisées à la main, ressemblent esthétiquement à un produit manufacturé. Et ce n’est en cela pas un hasard si Vincent Mauger a ainsi choisi de nommer chacune de ses interventions « sans titre », ce qui confère à son travail un sentiment conceptuel de globalité et d’homogénéité.

 

Vincent Mauger découpe, plie, froisse, brûle, colle, visse. Autant de gestes qui jouent et déjouent les propriétés des matériaux comme cette sculpture en mélaminé brulé (Sans titre, 2010), s’apparentant à un résidu géant de crayon à papier taillé, sur laquelle les traces d’agencement de plaques de bois aux contours irréguliers et les brûlures du matériau sont visibles.

On pourrait dire que l’artiste poursuit à sa manière une forme d’art processuel, mais en lui conférant un caractère plus interventionniste, l’amenant ainsi à concevoir une forme plus élaborée en exploitant les qualités intrinsèques du matériau, ce que refusaient en leur temps les œuvres postminimalistes de Richard Serra, Robert Morris ou Barry Le Va dans leur rapport plus direct et plus brut au matériau. Il se place plutôt en héritier de ce rapport contredit, mais plus esthétique, à la matière qui occupe tout entièrement la sculpture de Richard Deacon et dans laquelle les opérations de transformation du matériau sont mises à nu, donnant à voir par exemple des lignes de bois torsadées ou repliées sur elles-mêmes dans un langage essentiellement tourné vers des formes organiques.

Pourtant, il est moins question de biomorphisme chez Vincent Mauger que de modèles mathématiques ou biologiques (on pense à la représentation de virus notamment) transmutés en sculpture et a fortiori à grande échelle, à l’image de cette sphère de trois mètres trente de diamètre en palettes découpées (Sans titre, 2011) ou de celle, n’en mesurant pas moins de cinq mètres, hérissée de piques en bois (Le théorème des dictateurs, Le Vent des forêts, 2009) qui s’inscrit dans le beau parcours forestier du Vent des forêts dans la Meuse.

L’espace, chez lui, se manifeste par un état de concentration ou d’expansion de la matière à travers des formes soit fermées (sphères en bois ou métal), soit ouvertes (sols en polystyrène (Sans titre, 2008) qui se déploient à l’horizontale ou sculpture en fines plaques de contreplaqué (Sans titre, 2008) qui s’enroulent comme un ruban autour d’un pilier).

Si la sculpture est d’abord et avant tout une histoire de masse, de poids, de gravité, de volume et de spatialisation de la forme qui prend en compte l’espace environnant en l’intégrant dans la réalisation même de l’œuvre, alors Vincent Mauger répond aux fondements inhérents à cet art. Il conçoit des formes autonomes qui sont posées dans l’espace, au sol, mais pas seulement car parfois aussi suspendues dans le vide brouillant ainsi nos repères quant à la perception de l’œuvre et à son poids éventuel.

Certaines autres de ses réalisations relèvent davantage du principe de l’installation qui, on le sait, depuis le Merzbau de Kurt Schwitters aux environnements d’Allan Kaprow, naît de la sculpture.

Chacune d’entre elles est pensée en fonction du lieu qui les accueille, elles s’y ajustent et invitent à une déambulation, qui est parfois malaisée, sur un sol recouvert de parpaings (Sans titre, Instants Chavirés, Montreuil, 2008) ou de briques (Sans titre, 2005, Chapelle des Calvairiennes en Mayenne). Dans d’autres cas, l’artiste en sature aussi la hauteur comme dans sa proposition (Sans titre, 2006, Chapelle du Bélian à Mons) pour cette ancienne chapelle désacralisée en Belgique où il conçoit un environnement fait de boules de feuilles de papier froissé dans lequel le visiteur, invité à déambuler, s’enfonce dans la masse blanche.

L’œuvre devient un champ d’expériences tactiles qui consiste à fouler et à toucher le matériau. Parfois, proche d’une architecture, elle dessine et matérialise l’espace comme dans la proposition de volume désarticulé qui, à l’échelle du Lieu Unique (Sans titre, Estuaire, Nantes, 2009), oblige le visiteur à se contorsionner s’il veut en traverser les différentes hauteurs.

Autant de réalisations qui nous font prendre conscience d’une spatialisation de la sculpture et s’inscrivent dans l’héritage des nombreuses propositions perceptives des années 1960, celles notamment de l’art cinétique et de l’arte povera ou de leurs extensions, à l’instar du Rilievo a riflessione ortogonale (Relief à réflexion orthogonale) (1967) de Getulio Alviani, invitant le visiteur à déambuler sur un sol de plaques d’acier irrégulières ou de la Luna (1968) de Fabio Mauri, proposant un espace saturé de billes de polystyrène dans lequel s’aventurer.

Mais ce qui surprenant au regard des interventions de Vincent Mauger, c’est leur côté titanesque. Car, l’artiste, outils en mains, se confronte seul à la matière et sculpte l’espace.

Les courtes vidéos qui accompagnent son travail peuvent être lues comme le condensé de ses recherches sur la matière. A l’image de celle qui montre en temps réel (Sans titre, 2010, 2mn48s) l’artiste découpant à la tronçonneuse la table sur laquelle il se tient debout ou qui enregistre le temps que met une boule de papier à se consumer dans son intégralité (Sans titre, 2010, 6mn21s).

Leur simplicité et leur pauvreté formelle, qui est revendiquée, fonctionnent comme une banque d’images en regard à sa sculpture. Elles ne viennent pourtant pas l’illustrer, mais plutôt témoigner aussi modestement soit-il d’un geste.

Son travail est loin d’être sans humour. Et, à l’invitation de réaliser une carte blanche pour la revue Mouvement en 2009, Vincent Mauger avait choisi de se montrer, cigarette allumée à la bouche, immergé dans l’épaisseur des boules de papier qui remplissaient la chapelle du Bélian ! Dans son corpus d’images, il existe aussi un petit tirage qui reprend la célèbre photographie de la tonsure de Marcel Duchamp par Man Ray en 1919. A la seule différence près, c’est qu’à la place de l’étoile, Vincent Mauger a dessiné le A cerclé, symbole de l’anarchie. Comme si par ce choix, il semblait avoir fait sienne cette devise de Pierre-Joseph Proudhon qui viendrait illustrer la forme recherchée dans son travail : « La plus haute perfection de la société se trouve dans l’union de l’ordre et de l’anarchie ».

 

 

 

Valérie Da Costa

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