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Sans titre / Bénédicte Ramade

Sans titre

Une roche volcanique, une coupe axonométrique, une vue topographique, un agrégat corallien, une éponge, un hybride primitif ou encore un prototype mécanique ; les situations auxquelles nous confrontent Vincent Mauger joue constamment de cet entre-deux. Un état transitoire entre une ruine et une construction en expansion, dynamogène mais indéterminé, c’est là toute la nature paradoxale des œuvres de ce jeune artiste. Et sans prestidigitation s’il vous plait. WYSIWYG[1]. Toutefois, l’affaire est moins simple qu’il n'y paraît.

Car Vincent Mauger est allergique au maniérisme des mille-feuilles citationnels qui gangrènent l’art de l’ère post-moderne. Peu enclin à se repaître dans le vocabulaire surexploité des minimalistes américains, il goûte davantage la sculpture anglaise d’un Richard Deacon[2] et cultive obstinément une intuition savante face aux espaces, aux matériaux et aux médiums. Il les emprunte à la construction – briques, parpaings, gaines plastiques, tubes PVC, etc… - et passe avec la même aisance du dessin sur ordinateur au gros-œuvre, de la sculpture à la vidéo. De la torsion de ces matières communes, Vincent Mauger tire une pratique transitive et hétérogène peu bavarde mais profondément empathique. Mais voilà, comment organiser cet univers ? L’artiste toscan Giorgio Vasari dans Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs et architectes écrites entre 1550 et 1568[3] offre un raisonnement pertinent : « Procédant de l’intellect, le dessin, père de nos trois arts – architecture, sculpture et peinture – élabore à partir d’éléments multiples un concept global. Celui-ci est comme la forme ou idée de tous les objets de la nature, toujours originale dans ses mesures. Qu’il s’agisse du corps humain ou de celui des animaux, de plantes ou d’édifices, de sculpture ou de peinture, on saisit la relation du tout aux parties, des parties entre elles et avec le tout. De cette appréhension se forme un concept, une raison engendrée dans l’esprit par l’objet, dont l’expression manuelle se nomme dessin. Celui-ci est donc l’expression sensible, la formulation explicite d’une notion intérieure à l’esprit ou mentalement imaginée par d’autres et élaborée en idée ». Chez Vincent Mauger, le dessin s’impose en socle fondateur et omniscient offrant un écho parfait aux mots de l’esthéticienne Jacqueline Lichtenstein : « Pour Vasari, tous les arts visuels : architecture, sculpture, peinture, procèdent du dessin. Jouant sur le double sens du mot disegno, qui signifie à la fois la conception et le contour, le projet et l’exécution manuelle du tracé, Vasari définit le dessin selon deux aspects, théorique et pratique[4] » Qu’il filme, tisse des volumes, délimite des territoires, creuse des perspectives, Mauger participe de cette éthique du dessin. Ses formes ouvertes cultivent une apparence hypothétique profondément processuelle. Et parce que toutes ses réalisations ou presque portent le doux nom elliptique de Sans titre par souci de ne rien imposer au spectateur, de ne pas le contraindre à une pensée unique, il faut alors appliquer soi-même un système de « rangement » à cet univers hétérogène. Et une nouvelle fois d’emprunter à Vasari, la règle, l’ordre et la mesure avec lesquels il définit le dessin[5].

La règle définirait la rigueur de l’ordonnance des œuvres invasives adaptées à des architectures caractérisées, de la Chapelle des Calvairiennes à Mayenne (2005) jusqu’à la Brasserie Bouchoule à Montreuil (2008). Elles ont la particularité d’être composées d’un matériau unique – la brique et le parpaing - créant un revêtement uniforme et ajusté au sol du lieu. La modularité des matériaux agit alors comme une mise au carreau déréalisant les espaces d’exposition transformés en paysages vectorisés. L’ordonnancement de ces « pénétrables » contrôlés par leur dérèglement crée une expérience de la vision et du point de vue qui échappent aux habitus des matériaux. Mauger aime contrarier les attentes et les usages. Le sol-socle autorisant l’excroissance, des reliefs, des « cailloux » interviennent comme autant de « pop-up » tridimensionnels et menacent le minimalisme premier. Du logos au topos, du lieu remarquable à la topographie abstraite constituée de courbes de niveaux, ces matériaux simplissimes arrivent à faire basculer un lieu singulier en contenant modélisé. Dernièrement, c’est le plafond de la Galerie du Dourven qui fut envahie (Château Millésime, 2010) de casiers de bouteilles en polystyrène couleur brique. La surface comme grêlée par la rigueur orthonormée de la production usinée du matériau se retrouve contredite par l’effet éruptif et rongé de simili stalactites. Une nouvelle mise en tension, un dérèglement subtil à la manière de l’installation réalisée à partir d’un sol vinylique quadrillé de noir et blanc réalisée au Château de Chamarande en 2011. Le recouvrement discipliné se prend alors dans une partie de la pièce à s’élever, à s’affranchir du système pour configurer une zone de désordre. Cette façon de désorienter les matériaux, leur propriété et le cadre qui leur est donné était préfiguré dans de gracile dessin singeant la régularité réconfortante des feuilles de papier quadrillé aux rayures dites seyes, à la minutie d’un papier millimétré brutalement contrarié par l’emmêlement des lignes.

Dans ces installations répondant de la règle, Mauger génère une collision singulière entre la réalité des lieux et l’effet de représentation offre l’impression de parcourir une illusion. En cultivant avec pugnacité le transitoire dans ses formes sculpturales ou environnementales, dans ses dessins comme ses vidéos, Mauger entretient l’équivoque, transmet un espace mental profondément graphique. Il creuse l’interstice à peine visible qui s’établit entre la construction manuelle et physique (4500 parpaings, 205 m² de briques, des kilos de papier à compresser) et l’impression glacée d’un facettage numérique, la modestie des matériaux et leur résolution ultra précise. Il est d’autant plus étonnant de constater à quel point au-delà de cette autonomie de façade et cette réticence entretenue par les titres « Sans », ces œuvres « s’adressent » au visiteur, une qualité persistante dans la seconde « catégorie », celle de la mesure.

Lorsque Mauger s’emploie à explorer l’espace en s’appuyant sur des points d’équilibre et de rupture, il parvient à l’aide de quelques sangles et de tendeurs à mettre en tension toute une architecture. La figure de prédilection (sans être exclusive) est ici celle de la toile d’araignée, construction naturelle et empirique de haute résolution, une forme éminemment liée au trait. De la cour de la maison Eclusière à Toulouse (2007) à la salle blanche de la maison de la Culture de Nevers et de la Nièvre (2007) en passant par l’appartement d’Interface à Dijon (2007, Elastic mountain) la mise sous tension compose un dessin et configure l’espace pour jouer avec sa planéité, ses surfaces et ses angles. Pliage/dépliage, composition/décomposition, la simplicité désarmante des matériaux domestiques rivalise à nouveau avec la technicité. L’équilibre obtenu dans le diagramme hirsute d’Elastic Mountain par la tension de 120 mètres de tendeurs bleu électrique, génère un point de gravité entre prouesse et menace. Plus autonome, Sans titre (2004) créée à partir d’une planche de contreplaqué découpée en une bande concentrique continue, mise en forme grâce à un seul serre-joint, fonctionne sur le registre de cette virtuosité démystifiée. Une telle sculpture-geste renvoie avec violence, au plein et au délié du trait dessiné avec fluidité et immédiatement contredit par la rigidité du bois. Mauger travaille la résistance due à une simple torsion maintenue avec dénuement par un outil de serrage presque dérisoire. Plus récemment, ce sont des chaînes en acier et des tiges d’aluminium qui se sont retrouvées suspendues en un nœud sévère au milieu de l’espace, simplement relié aux cimaises par trois points d’accroche (2008, Rezé). Ces 120 mètres linéaires offraient une mesure de l’espace et le focalisaient sur son point nodal, point de connexion et de force qui réorganisait les priorités des déplacements. Cet amas souple et dur contraignait avec assurance mais sans autoritarisme le visiteur à se mesurer à des rapports de masses, de volumes, d’ombres projetées, de lignes de fuites. Au sein de la composition, l’architecture décentrée rejouait en permanence son propre équilibre comme avec l’œuvre crée pour le prix Zervos (2010), alliage contradictoire de couettes, d’ancres et de chaînes d’acier.

Comme une première synthèse de la mesure et la règle, The undercroft (2008, Brighton), a combiné récemment la suspension d’un paysage-grille en bois plaqué porté par de hauts piliers au milieu d’une nef d’église. La structure alvéolée s’est faite treillage pénétrable, paysage flottant en autant de courbes de niveaux prosaïques ; entre poésie et mise au carreau, l’empirisme de Mauger se plait à entretenir des structures en perpétuel glissement. Une version plus expansive encore a vu le jour au Lieu Unique à Nantes, 1000m2 de bois flottant à hauteur de regard, une ligne d’horizon d’où partaient reliefs et dénivelés. L’ossature d’un paysage, le support d’une spéculation laissé à la discrétion du visiteur-arpenteur prenant la mesure d’un espace régulé mais chaotique, d’une croissance décidée mais empirique. Deux ans plus tard, Vincent Mauger a donné en Lozère un autre corps à l’hybridation de la règle et de la mesure en faisant reposer sur des sangles sous le faitage d’un toit, des boules de casiers à bouteilles. Le matériau rappelant invariablement le parpaing bien qu’il soit en polystyrène, le système de mise en équilibre précaire était redoublé par l’impression de masse renforçant l’impermanence tendue.

Mais là où les formes spéculatives renouvellent les formes et les critères d’évaluation du spectateur, c’est dans la dernière catégorie de l’ordre, celle des sculptures autonomes. Gaines plastiques violemment colorées en bleu et rouge, tuyaux PVC gris, tubulures jaune vif, gaines polystyrène gris foncé, plaques de mélaminé articulées, étagères métalliques, les jeux de constructions que génèrent ces matériaux en expansion hésitent entre l’aléatoire contagieux et un subtil travail de mise en équilibre. La « flaque » bleutée produit en 2008 au Frac des Pays-de-la-Loire s’étale, biomorphique et territoriale, en une drôle d’anamorphose flottante au-dessus du sol, comme la synthèse d’un sol régulier et d’un espace mesuré. Apparaissant tel un hologramme, ses couleurs, en vibrionnant, déréalisent l’objet pour le décaler dans le champ de la représentation. Ces tubulures de gaines de plombier simplement collées entre elles, amorcent un possible mental - espace, surface, fluide instable, île –, polymorphe. La logique qui ordonnance la répartition des modules reste floue, tout comme la décision qui arrête à un moment donné le processus d’agrégation. La forme reste doublement en suspens comme lorsque des étagères se retrouvent chevillées entre elle (2010), la sculpture semble dans un état temporaire, prête à une nouvelle expansion, à poursuivre une logique qui lui appartient. Jusqu’à flirter avec la menace lorsque ces sculptures atteignent une échelle monumentale. Et là, le matériau domestique et familier se fait offensif, comme mue par une exigence d’autonomie. Le théorème du dictateur (2009, Le vent des forêts) ne dit pas autre chose. Boule de pieux de bois hirsute du diamètre conséquent de cinq mètres, l’œuvre s’impose dans un équilibre paradoxal entre le système fermé complexe de sa conception et son aspect archaïque. Défensif assurément, il pousse littéralement le spectateur dans ses retranchements en le dominant avec assurance. Dans le jardin des Tuileries en 2011, une lointaine parente de ce premier système déployait ses six mètres de diamètre en planches grignotées avec la même supériorité. Entre amorces impérieuses et dégénérescences fragiles.

Vincent Mauger profite de l’indéfinition du Sans titre pour y déployer ses projets, ses idées, ses dessins comme l’entendait Vasari, contour et conception, théorie et pratique dans le même geste. Ses formes sont assurément ambivalentes, structurantes et déstabilisantes. Alors, un simple schéma d’angle traçant les coordonnées cartésiennes à partir de coordonnée (Y), d’abscisse (X) appuyées sur la ligne de repère (Z) pourrait parfaitement qualifier le travail de Vincent Mauger : rationnel, mais en toute relativité.

 

Bénédicte Ramade

 

 

 

 

 

   [1]              Acronyme de What you see is what you get comme le revendique la promesse de mise en plage du logiciel éponyme.

   [2]             Dans un entretien avec Lili Reynaud-Dewar, in Espaces supposés, catalogue d’exposition, Musée Denys Puech, Rodez, 2006.

   [3]             Tiré de La peinture, sous la direction de Jacqueline Lichtenstein, Paris, Larousse, 1995, p.524.

   [4]             id, ibid, p.524.

  [5]        «  La règle consista, en architecture, à mesurer les monuments antiques en conservant leurs plans dans les œuvres modernes. L’ordre fut la séparation des « modes » pour que chaque édifice reçoive ses membres propres sans mélanger dorique, ionique, corinthien et toscan. La mesure à valeur générale en architecture comme en sculpture voulait qu’on représentât les corps avec exactitude, d’aplomb, et les membres harmonieusement organisés ; et de même en peinture. », id, ibid, p.664.

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